ALAPETITE, Gabriel-Ferdinand

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Papiers Gabriel ALAPETITE (1854-1932)

Cote/Cotes extrêmes

2PAAP (Cote de commande)

Date

1914-1918

Organisme responsable de l'accès intellectuel

Centre des archives diplomatiques de La Courneuve

Description physique

8 articles

Origine

ALAPETITE, Gabriel Ferdinand

Biographie ou Histoire

Né le 5 février 1854 à Clamecy, Gabriel Alapetite, comme deux de ses prédécéceurs, Paul Cambon et Massicault, est issu de la carrière préfectorale. Successivement, préfet de l'Indre (1888), de la Sarthe (1888), du Puy-de-Dôme (1889), du Pas-de-Calais (1890) et du Rhône (1900), il est nommé ministre plénipotentiaire de 2ème classe, et résident général à Tunis le 29 décembre 1906 ; il succède à Pichon, fidèle collaborateur de Clemenceau, qui vient de le prendre dans son cabinet comme ministre des Affaires étrangères. Alapetite, de tous les résidents généraux, est celui dont le proconsulat a eu la plus longue durée, soit près de douze ans. Il est nommé ambassadeur à Madrid le 26 octobre 1918 et commissaire général de la République française à Strasbourg, le 11 février 1920. Admis à faire valoir ses droits à la retraite le 12 juillet 1924, il décède à Paris le 22 Mars 1932.

La lecture de la correspondance d'Alapetite confirme la réputation qu'il a laissée en Tunisie, celle d'un exellent administrateur, d'un chef autoritaire, certe, mais d'une grande droiture, scrupuleusement attaché à son rôle d'arbitre entre les intérêts souvent opposés de la colonie française et de la population indigène, défenseur obstiné du régime du protectorat avec une vigueur qu'on ne retrouve que chez Paul Cambon. On a reproché parfois à l'homme, d'aspect sévère, presque austère, une certaine froideur dans les relations humaines (1). Il était de l'école de Poincaré, qui l'appréciait et le soutint fermement au cours des interpellations sur la Tunisie à la Chambre des députés, en janvier 1912, alors qu'il était président du Conseil et ministre des Affaires étrangères. Il semble bien que c'est Poincaré, alors président de la République, qui en 1920, décida de sa nomination au poste de commissaire général de la République en Alsace-Lorraine, poste difficile où il acheva sa carrière en juin 1924, après les élections, qui avaient amené au pouvoir le cartel de gauche, partisan d'une politique toute différente de celle de prudente assimilation à laquelle Alapetite s'était voué ; il décida alors de se démettre de ses fonctions.
Alapetite durant son proconsulat tunisien fut aux prises avec le premier mouvement nationaliste d'une réelle importance depuis l'établissement du protectorat. Une jeune élite, encore peu nombreuse, issue des facultés française, avait fondé en février 1907, un journal en langue française "Le Tunisien" où elle exprimait, en termes modérés, des revendications qui nous semblent aujourd'hui, d'une grande modération, mais qui parurent outrecuidantes à l'époque aux tenants de "la prépondérance française". Ceux-ci avaient trouvé en Victor de Carnières, président de la chambre d'agriculture française, leur chef de file et leur porte-parole doué d'un incontestable talent de polémiste, mais aveuglé par une farouche arabophobie (2). Il ne facilitait pas le rôle d'arbitre qu'Alapetite s'efforçait de tenir. Lorsqu'une section indigène, aux membres désignés par le gouvernement, fut adjointe à la section française de la conférence consultative, ce fut un beau scandale parmi les "prépondérants". Il fallut bientôt réunir séparément les deux sections devant l'attitude hostile de Victor de Carnières et de ses partisans de la section française à l'égard de leurs collègues indigènes.
C'est en novembre 1911 qu'éclate le premier incident grave dans les annales du protectorat. À l'occasion d'une procédure relative à l'immatriculation du cimetière musulman de Djellaz, près de Tunis, une simple maladresse administrative provoqua une émeute sanglante. On compta de nombreux morts parmi la population indigène et la population italienne. Explosion surtout dirigée contre les italiens. En effet, l'Italie venait d'entreprendre la conquête de la Tripolitaine, province turque; cette agression avait créé depuis quelques semaines une certaine effervescence dans la population musulmane de Tunis et exalté la colonie italienne, d'où une hostilité génératrice de multiples incidents entre les deux communautés. Victor de Carnières et ses partisans voulurent y voir la main des "jeunes tunisiens". Ceux-ci dans leur journal avaient naturellement pris parti pour la Turquie. Depuis l'arrivée au pouvoir en 1908 des "jeunes turcs" à Constantinople, le prestige de l'empire ottoman s'était encore accru auprès des tunisiens. Mais les "jeunes tunisiens" n'eurent aucune part dans l'explosion de l'émeute. En France, l'affaire du Djellaz fit un certain bruit, elle venait s'ajouter à une campagne de presse qui mettait en cause plusieurs parlementaires, quelques uns anciens ministres, accusés de s'être fait octroyer de vastes concessions de terres dans la région de Sfax à des conditions particulièrement avantageuses; le gouvernement du protectorat avait été vivement pris à partie.
À nouveau, comme au début du protectorat, la Tunisie apparaissait comme la terre d'élection des affairistes. Plusieurs demandes d'interpellations déposées à la chambre des députés au début de l'été 1911, après plusieurs renvois, vinrent en discussion en séance publique en janvier 1912. Ce fut l'occasion d'un large débat sur la politique française en Tunisie. Alapetite, désigné comme commissaire du gouvernement, défendit la politique du protectorat; il s'en tira très honorablement, soutenu par Poincaré, président du conseil et ministre des Affaires étrangères qui intervint à la fin du débat.
Peu de temps après ces interpellations, un nouvel incident à Tunis (un jeune musulman écrasé par un tramway conduit par un Italien) agitait à nouveau les esprits. La population musulmane boycottait les tramways. Le parti "jeunes tunisiens" qui soutenait la revendication d'égalité des salaires des travailleurs indigènes de la compagnie des tramways avec ceux des travailleurs européens, était accusé de complot politique. Alapetite qui devant la chambre, n'avait pas hésité à condamner l'intransigeance du parti de la prépondérance française, violemment attaqué par ce dernier, décida d'exiler quatre des jeunes tunisiens les plus en vue, leur journal cessa de paraître. L'état de siège était instauré.
Désormais, jusqu'à la guerre de 1914, il n'y eut plus d'activité apparente du parti "jeunes tunisiens". Sans doute Alapetite, et ce sera le cas de beaucoup de résidents généraux plus tard, sentant qu'il ne pouvait se couper complétement de la colonie française, s'est résolu à cette mesure de rigueur contre les têtes du parti "jeunes tunisiens" (qui d'ailleurs fut levée au bout de quelques mois) pour regagner sa confiance plutôt que par conviction de la culpabilité des expulsés.
Le style de la correspondance d'Alapetite avec Peretti de la Rocca s'éloigne peu de celui d'une correspondance officielle. Il s'y exprime plus librement sur les évènements et les hommes. Elle est le résultat de l'accord entre deux hauts fonctionnaires pour s'informer au mieux au cours d'une période où les contacts personnels fréquents n'étaient plus possibles (Alapetite ne s'est rendu que deux fois en France pendant la guerre, au début 1917 et en août 1918). On n'y trouvera pas la grande liberté de langage et les jugements à l'emporte pièce de Paul Cambon dans sa correspondance avec Jusserand, alors chef du service de la Tunisie au département (3); les deux hommes étaient liés d'amitié. Ni la conjoncture, ni le tempérament d'Alapetite, ni les rapports qu'il entretenait avec Peretti ne se prêtaient à ce style de correspondance. La lecture peut en paraître parfois monotone, Alapetite revenant sans cesse, avec une insistance qui se décourageait jamais, sur certaines questions qui lui tenaient particulièrement à coeur et qui avaient une grande importance pour la Tunisie. Sans doute lui fallait-il cette remarquable obstination pour faire entendre à Paris la voix de la petite Tunisie, volontiers oubliée ou négligée au milieu du fracas des armes, au cours d'un conflit mondial où elle comptait pour peu de chose. Cependant, et c'est un des intérêts de cette correspondance, on y verra des aspects secondaires certes, mais peu connus du conflit, notamment à la frontière tripolitaine.
Alapetite était entouré d'un petit groupe de fidèles collaborateurs dont les noms reviennent souvent dans sa correspondance. Dobler, ministre délégué à la résidence générale, présente un cas exceptionnel parmi les fonctionnaires du quai d'Orsay : pendant trente années de suite il s'est occupé du même pays, la Tunisie. Né en 1865, il entre au ministère des Affaires étrangères en 1888 ; en 1889 il est en poste à Tunis, comme secrétaire d'ambassade jusqu'en 1897; ensuite à l'administration centrale il sera affecté au bureau de la Tunisie, en second jusqu'en 1906, puis à sa tête en 1907; en 1912, il est nommé délégué à la résidence générale et devient ministre plénipotentiaire en 1913. Il restera à Tunis jusqu'à la fin de 1919. Le sénateur Etienne Flandin avait succédé à Alapetite au début de l'année ; la politique du nouveau résident et ses méthodes administratives étaient très différentes de celles de "l'école d'Alapetite"; les deux hommes se heurtèrent, Dobler quitta Tunis; il devint chef du service de la comptabilité au département et y resta jusqu'à sa retraite en 1925. Lorsqu'il était chef du service de la Tunisie au quai d'Orsay, il venait chaque année à Tunis pour participer à la mise au point du budget de la Régence (qui devait être soumis au ministère des Affaires étrangères après examen par la conférence consultavive). Il avait ainsi acquis une connaissance très précise de l'administration tunisienne, de ses problèmes et des hommes. Il a certainement, du fait de sa compétence, influé sur certaine décisions prises par le ministère. On lui reprochait dans la presse locale un excès de prudence et un conservatisme trop soucieux d'une gestion sévère du budget et ennemi des réformes ; on avait même forgé sur son nom le verbe "dobleriser" pour signifier le refus de toute amélioration des salaires en faveur des fonctionnaires de la Régence.
À la tête du secrétariat général se trouvait Urbain Blanc, assisté de plusieurs adjoints, dont Manceron, issu de la carrière préfectorale, et qui, nommé résident général en Tunisie, en 1929, rendra, à son arrivée dans la capitale de la Régence un particulier hommage à Alapetite par dessus la tête de ses deux successeurs Flandin et Saint. Il sera aussi question de Puaux, futur secrétaire général du gouvernement tunisien, qui avait été chef de cabinet d'Alapetite avant la guerre, et qui, mobilisé occupera des fonctions au grand état major où il rendra quelques services à Alapetite dans les questions militaires. Charlety, directeur de l'enseignement, historien éminent, futur recteur de l'université de Strasbourg où Alapetite le retrouvera en 1920, est lui aussi mobilisé, mais détaché auprès du résident. Tout en gérant son administration devenue squelettique, il seconde Alapetite dans son action politique et administrative, faisant la liaison avec Paris où il est le porte parole du résident.
Cependant l'homme dont il sera le plus souvent question dans la correspondance, c'est Dubourdieu, directeur général des finances auquel Alapetite, plutôt avare d'éloges, rendra un particulier hommage : "Un surintendant des finances comme il est regrettable que la France n'en ait pas eu beaucoup". Alapetite lui avait confié la lourde charge du ravitaillement. Sur lui reposait toute l'économie de la Tunisie. Il réussit ce tour de force d'assurer la subsistance des populations, malgré une récolte catastrophique en 1914, et en dépit des hausses considérables du fret et des produits d'importation, sans endetter la Tunisie.
Les hostilités rendaient nécessaire une étroite collaboration entre les autorités civiles et militaires, même si elle ne va pas parfois sans quelques heurts. La division d'occupation perd son autonomie et est rattachée au général commandant en chef des armées de terre et de mer d'Afrique du nord, le général Moinier à Alger. Celui-ci entretint de bonnes relations avec Alapetite. Atteint par la limite d'âge, il est remplacé en janvier 1918 par le général Nivelle. A Tunis, trois généraux se succédèrent à la tête de la division : Vérand, dont Alapetite eut beaucoup à se plaindre et qui fut déplacé à la fin de 1915, Chailley, et Alix à partir de mars 1916 avec lesquels en revanche une collaboration confiante s'établit.
Le général Boyer commandait les troupes du sud, avec auprès de lui le colonel Foucher, commandant les territoires du sud (4). À Tunis, auprès d'Alapetite, le lieutenant-colonel Le Boeuf, qui connait parfaitement le sud tunisien, dirige le service central des affaires indigènes jusqu'à sa disparition en avion dans le grand Erg, le 15 septembre 1916. Il sera remplacé par le commandant Boy qui fut attaché militaire auprès d'Alapetite avant la guerre.
Toutes ou presque toutes les questions dont Alapetite s'entretient avec Peretti ont trait, directement ou indirectement, aux effets de la guerre sur la Tunisie. On peut les grouper en quelques grands thèmes.
En premier lieu, les questions militaires. D'abord la mobilisation générale qui affaiblit dangereusement la colonie française composée d'éléments jeunes et de "cadres". Elle touche aussi la population indigène musulmane. Chaque année, pour répondre aux exigences du ministère de la Guerre, le nombre des appelés sera en augmentation; le recrutement deviendra de plus en plus impopulaire. Les lourdes pertes subies par les troupes indigènes provoquent un profond malaise qui atteint son paroxysme en 1917.
Alapetite s'en inquiète et s'efforce de modérer les demandes de l'état-major. Si des troubles graves ne se produisent pas, comme en Algérie, il y a quelques incidents assez sérieux en 1916 et en 1917 ; des déserteurs gagnent la montagne, formant des bandes difficiles à réduire, car elles bénéficient de la complicité de la population ; mais le soulèvement des tribus du centre et du sud, espéré et recherché par les Allemands et redouté par Alapetite, n'aura pas lieu.
La Tunisie, le long de la frontière tripolitaine, participe dans une modeste mesure à la Grande Guerre par des combats intermittents et sporadiques, engageant de faibles effectifs. Ce "front", si on peut qualifier ainsi une région semi désertique, où sont dispersés quelques postes fortifiés, et où des colonnes mobiles se déplacent dans des conditions difficiles de climat et de ravitaillement, paraît bien secondaire, eu égard aux combats qui se déroulent en France, dans les Balkans et même au Moyen-Orient. Ignoré de l'opinion publique, dédaigné ou peu s'en faut par le ministère de la Guerre, il n'en a pas moins son importance : quelques revers subis par nos troupes ne risqueraient-ils pas d'entraîner la révolte de tribus tunisiennes du sud et, de proche en proche,  le soulèvement des populations indigènes de la Régence et de l'Algérie ?
C'est ce que craint Alapetite en 1915, lorsque les Italiens, devenus nos alliés ont évacué précipitamment et dans de mauvaises conditions tout l'intérieur de la Tripolitaine, conservant seulement Tripoli et quelques points de la côte. Une tribu du sud tunisien, les Oudernas, partira en dissidence en septembre 1915. Il y aura encore quelques coups durs en 1916, puis la situation se rétablira. La politique et la diplomatie auront autant de part sinon plus que les armes, au maintien de la sécurité à la frontière. En effet les négociations ne cesseront jamais avec les chefs rebelles tripolitains, souvent en désaccord, malgré les efforts des envoyés du gouvernement turc et du gouvernement allemand pour tenter de les unir et de les amener à une action d'envergure contre les Italiens et contre les Français. C'est en fin de compte, l'échec du plan germano-turc de susciter un soulèvement général de l'Afrique du nord.
La participation de la Tunisie a eu un caractère plus général du fait de la position exceptionnelle de Bizerte, port de guerre, doté d'un arsenal, et dont la rade offrait un abri sûr, à une époque où l'aviation n'en était qu'à ses débuts. Relais pour les convois sur la route du Proche-Orient, point d'appui pour les chasseurs de sous-marins, Bizerte a reçu aussi les blessés en provenance du front d'Orient et, au début de 1916, une partie des débris de l'armée serbe, venue s'y reconstituer.
Le ravitaillement de la population est, avec le maintien de l'ordre public, l'autre grand souci d'Alapetite. D'ailleurs du premier dépend en partie le second. La population indigène n'a pas les mêmes raisons que les français d'accepter restrictions et privations ; on ne peut raisonnablement lui demander de le faire par patriotisme au cours d'un conflit où elle est entraînée malgré elle;  tout au plus peut-on espérer sa résignation.
Blé et orge, huile, produits locaux, sucre et thé, produits importés forment la base de l'alimentation de la population. Le rendement des céréales est, en Tunisie comme dans le reste de l'Afrique du nord, et sans doute encore plus qu'en Algérie et au Maroc, extrêmement irrégulier. Certaines années, au lieu d'en exporter, il faut importer blé et orge pour nourrir la population. Or la Tunisie en 1914 aborde la guerre avec une des plus mauvaises récoltes qu'elles ait connu depuis le protectorat. L'hiver 1914-1915 sera très dur pour la population. Après une belle récolte en 1915, se succédent une récolte médiocre en 1916, une moyenne en 1917, et une très belle récolte en 1918. La période la plus critique sera l'hiver 1917-1918. Il a fallu avoir recours aux réquisitions, employer la force pour faire sortir le blé des silos, "procédé misérable", reconnaît Alapetite.
C'est Dubourdieu, le directeur des finances, qui est le grand maître du ravitaillement. Il organise un système ingénieux qui associe économie dirigée et libre commerce, selon les circonstances. L'état tunisien, grâce à un compte spécial de ravitaillement, devient le premier commerçant de Tunisie, achetant à l'extérieur les denrées et produits divers qui lui manquent, et les revendant dans le pays.
La Tunisie doit participer aussi au ravitaillement de la France et de ses alliés, dans la mesure de ses moyens. L'intendance militaire procède à des achats, parfois à des réquisitions (bestiaux, laine, peaux et même céréales en 1915 et 1916). Mais c'est surtout la production minière qui, après une chute due à la mobilisation des cadres pendant les deux premières années de la guerre, reprendra peu à peu. La Tunisie est à cette époque, après les États-Unis, le deuxième producteur mondial de phosphates de chaux, indispensables aux alliés, pour intensifier leur production de céréales. Minerais de fer, de plomb et de zinc leur fournissent aussi un appoint non négligeable, quoique plus modeste.
Les soucis quotidiens du ravitaillement, du maintien de la paix intérieure et du fonctionnement d'une administration au personnel très réduit n'empêchent pas Alapetite d'évoquer dans sa correspondance des problèmes d'un ordre plus général. C'est ainsi qu'à plusieurs reprises il expose ses idées sur la politique du protectorat, la remplaçant dans un cadre plus vaste, celui du monde mulsulman et des intérêts généraux de la politique extérieure de la France.
On notera l'énergie avec laquelle il défend les principes du protectorat, qui doit respecter et sauvegarder la société musulmane, et lui permettre, sans heurts, d'évoluer en empruntant à notre civilisation ce qu'elle a de meilleur. En Algérie, nous avons détruit cette société, écrit Alapetite. La hantise de l'algérianisation de la Tunisie reviendra sans cesse dans ses lettres; il craint que la guerre n'en soit l'occasion.
La proposition de loi sur la naturalisation des soldats indigènes, idée, certes généreuse, due à l'initiative de parlementaires qui voulaient ainsi marquer la reconnaissance de la France envers ceux qui étaient venus combattre au côté des soldats français, est l'occasion pour Alapetite de défendre avec acharnement les principes du protectorat : il s'oppose à une mesure qui serait une violation de nos engagements envers le Bey et qui ne serait pas considérée comme une promotion par la population tunisienne, attachée à sa nationalité et à sa religion. À l'autre extrémité du Maghreb, la voix de Lyautey, lui fait écho.
L'état de siège, institué dès les troubles de 1912, a été maintenu pendant la guerre avec toutes les aggravations dues aux nécessités de la défense nationale : censure de la presse, censure de la correspondance, arrestation des suspects, etc. Dans de telles circonstances, toute expression de sentiments d'opposition au régime du protectorat devenait difficile. Toutefois à deux reprises, ces sentiments eurent l'occasion de se manifester à Tunis. Ce fut lors des obsèques de Béchir Sfar, considéré comme le père du mouvement Jeune tunisien, et, qui tout en se ralliant au protectorat (il était devenu caïd de Sousse) avait su garder son franc parler, et surtout lors des obsèques d'un personnage obscur dont, écrit Alapetite, le seul mérite était d'être le frère du Cheikh Salah Chérif. Celui-ci, professeur à la grande mosquée de Tunis, partit volontairement à la fin de 1906 pour Damas, puis pour Constantinople, où il menait une violente campagne contre la politique française en Tunisie et en Algérie. Pendant la guerre, il devint un agent de propagande germano-turque. Il visitait les camps de prisonniers nord-africains pour les inciter à s'enrôler dans l'armée turque. Ces obsèques réunirent à Tunis une grande foule et, à celles du frère de Salah Chérif, des orateurs saisirent l'occasion "pour essayer de faire une sorte d'apothéose" de ce dernier.
Allemands et Turcs essayèrent-ils de gagner certains notables tunisiens, connus pour leur opposition au protectorat, et à provoquer avec leur concours une rébellion des populations ? Le complot dit "d'El Hamma de Gabès", qui demeure assez mystérieux et auquel Alapetite fait allusion à plusieurs reprises, pourrait le laisser supposer. Des arrestations furent opérées, des condamnations prononcées par le conseil de Guerre.
Quoi qu'il en soit et malgré l'appel à la guerre sainte, lancée par le sultan de Constantinople, calife et commandeur des croyants, en novembre 1915, malgré le prestige dont l'empire ottoman jouissait encore en Tunisie, la population ne bougea pas ; il n'y eut que quelques incidents locaux.
On appréciera à la lecture de ces quelques centaines de feuillets, dictés au jour le jour, au fil des évènements, la clarté de la pensée, la netteté et la précision des exposés, le style simple, dépouillé de toute emphase, de toute manifestation d'auto-satisfaction. On pourrait peut-être reprocher à cette correspondance, une certaine sècheresse et une propension, qui était sans doute dans le tempérament de l'homme, à une vue pessimiste des hommes et des choses.
Telle qu'elle est, elle apporte une contribution non négligeable à l'histoire de la Tunisie pendant la guerre 1914-1918 et éclaire des  aspects peu connus du conflit mondial.
Pierre Bardin.


(1) Voir :  Gabriel Alapetite, ambassadeur de France 1854-1932, Paul Hartman éditeur, 1934. Dans cet ouvrage, hommage rendu à Alapetite par plusieurs de ses anciens collaborateurs, Charlety, qui fut directeur de l'instruction publique du protectorat, écrit dans l'avant-propos; "Cet homme savait glacer l'adversaire ou l'interlocuteur par sa simple et silencieuse attitude; vous savez, monsieur Alapetite, me disait un de ses vieux amis, quel homme quand il ne répond pas!" Dobler, qui fut son adjoint à Tunis a rédigé le chapitre III sur "Le résident général en Tunisie".
(2) - Cf Ch. A. Jullien "Colons français et jeunes tunisiens", in Revue française d'histoire d'outre-mer, 1967.
(3) - Cf. Papiers Cambon, lettres à Jusserand, 1883-1892, 5 volumes.
(4) - Les territoires militaires du sud étaient divisés en un certain nombre de bureaux et d'annexes ayant à leur tête un officier des Affaires indigènes. Ceux-ci exerçaient les mêmes fonctions de renseignement et de contrôle des autorités tunisiennes que les contrôleurs civils dans le reste de la Régence. Depuis 1907, les services des affaires indigènes avaient été rattachés à la résidence générale, sous les ordres d'un officier supérieur. Il y avait donc séparation entre le commandement des troupes du sud, dépendant de la division, et les Affaires indigènes, dépendant du pouvoir civil. Cette dualité n'était pas sans provoquer parfois des frictions entre les officiers de troupe et ceux des Affaires indigènes. À ces derniers leurs camarades de la troupe reprochaient d'être plus des politiques que des militaires. La guerre risquait d'aggraver cette position. L'accord entre ces deux éléments dépendait de la personnalité des chefs. Celui-ci fut réalisé grâce à la bonne entente qui régna entre le général Boyer, chef militaire circonspect et de sang-froid et le colonel Foucher, qui avait une longue expérience des populations du sud. Au printemps 1918 ces deux chefs, atteints par la limite d'âge, furent remplacés, le premier par le colonel Délavau, et le second par le colonel Donau qui avait déjà commandé les territoires du sud tunisien de 1907 à 1911. Le même accord s'établit entre ces deux chefs qu'entre leurs deux prédécésseurs.

Présentation du contenu

Gabriel Alapetite, résident général de France à Tunis de 1907 à 1918 a entretenu pendant la guerre de 1914 à 1918, une correspondance particulière avec Peretti de la Rocca, ministre plénipotentiaire, sous-directeur d'Afrique au ministère des Affaires étrangères, et dont relevait le protectorat tunisien. Cette correspondance, presque journalière, sauf au début de la guerre et dans les derniers mois de celle-ci, traite de tous les problèmes militaires, politiques, économiques et administratifs qui se posaient à la Tunisie en guerre. Elle est un complément essentiel de la correspondance officielle d'Alapetite avec le Département. Elle aborde aussi et développe des questions qu'il estimait délicat, sinon difficile, de traiter pendant cette période dans une correspondance officielle.
Les lettres ont presque toutes été dictées : c'était là une habitude d'Alapetite ; les quelques rares écrites par lui sont généralement très courtes et d'une écriture peu lisible. On trouvera aussi quelques lettres de Dobler, ministre plénipotentiaire, délégué à la résidence générale et d'autres correspondants, en très petit nombre.
Lorsqu'on consulte cette correspondance une constatation s'impose immédiatement : à beaucoup de lettres comportant plusieurs feuillets, manquent soit le début, soit la fin, soit une partie du corps de la lettre. Alapetite avait l'habitude de consacrer le plus souvent, à chaque question importante, un ou plusieurs feuillets séparés. Les parties manquantes, se retrouvent reclassées dans la correspondance politique (Tunis, série 1887-1917 et série 1917-1929. On y trouve aussi en copie des extraits de certaines lettres. Quelques feuillets ont été classés dans la série "Guerre 1914-1918", affaires musulmanes". Plusieurs lettres à Peretti ont même été classées en entier dans la correspondance politique. Nous avons signalé par des fiches de renvoi les plus importantes (lettres traitant des troubles antisémites d'août 1917, du complot d'El Hamma de Gabes, 27 septembre 1917, de la politique économique de la Tunisie, 29 mai 1918).
À quelques lettres étaient jointes des pièces annexes ; comme celles-ci sont du format administratif usuel, elles ont été classées dans un volume séparé. Il en est fait mention sur chaque lettre, et sur la pièce annexe référence est faite à la lettre d'Alapetite.
Dans le volume des annexes, à la fin, ont été placés quelques articles de journaux et des pièces diverses qui constituent de petits dossiers séparés (question de la naturalisation des soldats musulmans, question des conseillers musulmans auprès de la commission interministérielle des affaires musulmanes, question du Khalifat, notes sur les réformes politiques et administratives à envisager après la fin des hostilités) ; enfin deux pièces concernent la période de l'ambassade d'Alapetite à Madrid.

Conditions d'accès

Librement communicable (sous forme de microfilms).

Langue des unités documentaires

Français.

Autre instrument de recherche

Répertoire numérique par Pierre Bardin, Paris, s.d., 1 p.  Voir l'instrument de recherche

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