Diplômé de l'École des sciences politiques, docteur en droit, Albert Kammerer entre en décembre 1898 au ministère des Affaires étrangères. Il fait carrière en Asie et au Proche-Orient puis à l'administration centrale, notamment au cabinet du ministre pendant la Première guerre mondiale. Nommé ministre plénipotentiaire de 2e classe le 8 janvier 1921, il occupe les fonctions de secrétaire général de la délégation française à la conférence de Washington puis de délégué français à la caisse de la dette égyptienne. Ministre plénipotentiaire de 1re classe le 25 avril 1925, il est successivement ambassadeur à la Haye en 1929, à Rio en 1931, à Ankara en 1933, puis à Tokyo en 1936. Après avoir été mis à la retraite par le Front populaire, il est élevé à la dignité d'ambassadeur de France.

Alors qu'il est délégué à la dette égyptienne, Albert Kammerer réalise des travaux de géographie et cartographie1 et publie « des ouvrages sur la circumnavigation par la Mer Rouge, magnifiquement édités grâce à la munificence du roi Fouad d'Égypte2 ». Pour les deux volumes de La mer Rouge, l'Abyssinie et l'Arabie depuis l'Antiquité, il reçoit le prix Thérouanne en 1932 et le prix Hercule Catenacci en 1937.

Durant l'Occupation, Albert Kammerer s'engage dans la Résistance. En 1943, il publie clandestinement une plaquette, Le crime de l'armistice, éditée à quarante mille exemplaires, dans laquelle il conteste la valeur de la loi du 10 juillet 1940 et du serment imposé par le maréchal Pétain. Il prolonge son travail par plusieurs ouvrages, notamment sur le désarmement de la flotte de Mers-el-Kébir, prévu par l'article 8 de la convention d'armistice. Il collabore à un journal clandestin de Lyon, La France intérieure, publié par Georges Oudard, qui édite son étude La tragédie de Mers-el-Kébir, reprise ensuite en volume. Son engagement est suivi par son fils, Jean, délégué militaire régional des forces combattantes pour la Normandie et la Bretagne. Capturé en juin 1944 alors qu'il soutient de l'intérieur le débarquement allié, Jean Kammerer meurt au camp de Dachau en janvier 1945.

1 Le département des cartes et plans de la Bibliothèque nationale, à Paris, garde trace de certaines de ses découvertes.

2 Arnaud d'Andurain, Souvenirs plaisants de la vie sérieuse, Paris, J.-P. Taillandier, 1986.

Don de sa veuve en 1951.

Les papiers Kammerer contiennent une partie de la correspondance diplomatique rassemblée par celui-ci pendant qu'il était ambassadeur en Turquie puis au Japon. Mais l'essentiel porte sur la Résistance, l'Occupation et le gouvernement de Vichy.

Un premier ensemble concerne directement la publication de ses ouvrages sur l'armistice, Mers-el-Kébir, l'opération Torch et le sabordage de la flotte française à Toulon. Il comprend notamment des tapuscrits, de la correspondance avec les éditeurs et la presse, ainsi que des lettres de remerciement de ses premiers lecteurs. L'intérêt du travail d'Albert Kammerer réside dans l'importance de sa documentation. Kammerer a recueilli « les confidences de ceux des ambassadeurs de [sa] génération qui avaient participé au drame » puis interrogé « tous les anciens ministres du cabinet de Paul Reynaud » ensuite « les chefs de cabinet et les attachés, les officiers d'ordonnance, les hommes politiques, les généraux à l'esprit assez dégagé pour s'ouvrir à [lui] » 1.

Telle qu'elle est aujourd'hui constituée, la documentation rassemblée par Albert Kammerer comprend plus de 270 dossiers, classés par ordre alphabétique, sur des hommes politiques, diplomates, militaires ou historiens entre 1940 et 1950. On y trouve des notes de lecture, des coupures de presse, de la correspondance, des rapports ou comptes rendus d'événements, des notes d'audiences ainsi que la retranscription d'entretiens oraux. Pour Albert Kammerer, haut fonctionnaire de la IIIe République, il faut comprendre les raisons de la chute du régime et expliquer la Collaboration. Pour ce travail, il interroge les témoins, mais aussi les grands intellectuels de son temps, comme le constitutionnaliste Georges Vedel, et confronte le témoignage des acteurs aux sources judiciaires. Sa méthode explique le succès de ses ouvrages. Certains lui reprochent une approche trop technique, qui est celle du légiste, « deux fois docteur en droit, à Paris et à Leipzig ». D'autres le trouvent trop favorable à l'Angleterre. C'est le cas, bien sûr, des acteurs de la Débâcle, notamment le ministre des Affaires étrangères, Paul Baudouin, qui voit dans le travail de Kammerer « une compilation consciencieuse d'ouvrages hâtivement publiés soit en France, sous le contrôle de l'ennemi, soit à Londres et à New York par des auteurs mal renseignés et animés par une passion partisane ». L'œuvre de Kammerer n'en constitue pas moins un premier essai d'histoire immédiate, avant même l'ouverture des archives, d'autant plus précieux qu'il s'appuie sur un travail de collecte de la mémoire de Vichy et de l'Occupation. Sa qualité d'ambassadeur de France mais aussi le renom de son travail en fait l'interlocuteur obligé des principaux acteurs de la défaite, avec qui il entretient de longues correspondances, mais aussi des principaux spécialistes, avec qui il échange conseils et analyses.

La fortune critique des travaux de Kammerer permet à celui-ci de multiplier les mises au point, développements et précisions qu'il présente dans la presse et les journaux, mais aussi au tribunal, puisqu'il est attaqué par ses adversaires pour une audience que lui a accordée le maréchal Pétain le 14 novembre 1940, à son retour de Lisbonne, où il a présidé le congrès de la découverte et de la navigation portugaise. Son œuvre est malheureusement interrompue par sa mort à Paris le 20 juin 1951, à l'âge de 76 ans.

1. Albert Kammerer, « Pourquoi j'ai écrit la vérité sur l'armistice' », dans La France intérieure, 15 février 1946, p. 35.

Librement communicables.

Répertoire numérique détaillé par Charlotte PAGNIER, assistant principal du patrimoine, révisé et complété par Borin PECH, adjoint administratif de chancellerie, et Jean-Philippe DUMAS, conservateur en chef du patrimoine, Ministère des Affaires étrangères, La Courneuve, août 2017 : voir l'inventaire.

Affaires étrangères

Collection des Papiers 40 :

- Papiers Léger : Correspondance d'Albert Kammerer, ambassadeur en Turquie [411QO 15].

Bibliothèque nationale de France

- Dossiers biographiques Boutillier du Retail.

- Manuscrits : NAF 17811, XVIII, f° 1-2 : Lettre de Kammerer ; NAF28108, boîte 14 : Enquête Picard sur Kammerer, 1940-1945.

- Enregistrements sonores : AP 1417, AP 1418, déclaration de Kammerer sur les documents relatifs à l'occupation, 28 novembre 1949.

Bibliothèque de l'Institut de France

- Papiers du Général Maurice Pellé.

- Ms 6242 : Lettres reçues à Prague d'Albert Kammerer, 1919-1920.

Bibliothèque centrale du Muséum d'histoire naturelle

- Ms 3207 / 2745-2746 : Correspondance de Raymond Decary avec Albert Kammerer, 29 juin 1948 - 7 juillet 1948.

- Ms 2771-2823 : Papiers d'Alfred Grandidier et de son fils Guillaume Grandidier.

- Ms 2809 / II : Notice nécrologique dactylographié d'Albert Kammerer, ambassadeur de France, par Guillaume Grandidier, 2 p.

La fonction publique en Allemagne, Paris, Arth. Rousseau, 1898, 499 p.

A Chypre, l'île d'Aphrodite, Paris, Hachette, 1925, 128 p.

Essai sur l'histoire antique d'Abyssinie : Le royaume d'Aksum et ses voisins d'Arabie et de Méroé, Paris, Paul Geuthner, 1926, 198 p.

La Mer Rouge, l'Abyssinie et l'Arabie depuis l'Antiquité : Essai d'histoire et de géographie historique, 2 tomes.

- Tome I : Les pays de la Mer Érythrée jusqu'à la fin du Moyen Âge, Le Caire, Société Royale de Géographie d'Égypte, 1929, 451 p.

- Tome II : Les guerres du poivre : les Portugais dans l'océan Indien et la mer Rouge au XVIe: histoire de la cartographie orientale, Le Caire, Société Royale de Géographie d'Égypte, 1935, 555 p.

Au service de la France. Le Crime de l'armistice. Paris, Imprimé sous la botte allemande, paru dans la clandestinité, à l'état anonyme, 1943, 28 p.

La vérité sur l'Armistice : Ephéméride de ce qui s'est réellement passé au moment du désastre, Paris, Editions Médicis, [2e édition revue, augmentée et mise à jour d'après les révélations du Procès du maréchal Pétain], 1944, 391 p.

Au service de la France. Le Pouvoir constitutionnel du Maréchal et la légalité de son gouvernement, Paris : les Éditions du Corbeau et du Renard, 1944, 12 p.

La tragédie de Mers El-Kebir : l'Angleterre et la flotte française, Paris, Editions Médicis, 1945, 187 p.

Du débarquement africain au meurtre de Darlan, Paris, Flammarion, 1948, 728 p.

La Passion de la flotte française, de Mers el-Kébir à Toulon, Paris, A. Fayard, 1951, 573 p.